Mixité des couchages en ACM : est-ce un débat si indispensable ?

La mixité des couchages en accueils collectifs de mineurs (ACM) de plus de 6 ans est un vieux serpent de mer qui, chaque année, divise les organisateurs de séjours, perturbe la préparation des accueils et oppose, dans des débats souvent passionnés, des visions tantôt rigoristes, tantôt « progressistes ».

Loin d’être sans conséquences, ces dissensus doctrinaux ont des échos symétriques dans les services de l’Etat : ils donnent alors lieu à des applications différenciées de la règle en fonction des territoires et sont susceptibles d’impacter de manière notable les organisateurs en cas de contrôle, ou les candidats au BAFD (Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur) lors de leur évaluation.

A l’occasion d’une lettre du Collectif Camps Colos adressée aux Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES), qui interpelle sur l’inintelligibilité de la règle et promeut la mixité dans les accueils – en se fondant notamment sur la position de Jeunesse au Plein Air -, JuriACM vous propose de faire le point.

Ce que dit le Code de l’action sociale et des familles : l’apparence d’une interdiction de la mixité des couchages en ACM ?

La réglementation applicable en matière de couchages en ACM est prescrite par l’article R. 227-6 du CASF (Code de l’action sociale et des familles).

Selon cet article :

« Les accueils avec hébergement [en ACM] doivent être organisés de façon à permettre aux filles et aux garçons âgés de plus de six ans de dormir dans des lieux séparés. Chaque mineur hébergé doit disposer d’un moyen de couchage individuel ».

D’emblée, il convient de relever que la rédaction de cet article est ambiguë et que la tentation peut être grande d’y voir un principe strict d’interdiction des couchages mixtes dans les ACM de plus de 6 ans.

L’emploi du verbe « devoir » (« doivent être organisés ») semble en effet sceller, de manière incontestable, le caractère obligatoire de cette règle qui oppose le couchage des filles, d’une part, et le couchage des garçons d’autre part.

Bien qu’il puisse être éventuellement insatisfait par les difficultés pédagogiques induites par cette règle qui confine à l’archaïsme en 2023, l’organisateur soucieux du respect de la réglementation peut se montrer sensible à cette lecture.

Pourtant, une autre analyse de cette disposition révèle que la règle est en réalité plus subtile.

Une règle en réalité favorable à la mixité des couchages en ACM

L’article R. 227-6 prévoit que les couchages « doivent être organisés de façon à permettre » des couchages non mixtes.

De manière générale, la « permission » renvoie à ce qui est « rendu possible », à ce qui « n’est pas empêché ». Si l’on transpose ces synonymes au texte, la non-mixité des couchages dans les ACM doit alors être rendue possible, ou ne doit pas être empêchée… dans les cas où l’organisateur reçoit une demande expresse en ce sens (émanant des parents ou des mineurs eux-mêmes).

En l’absence de telles revendications ou demandes, l’organisateur est parfaitement libre de prévoir d’office, dans son projet éducatif, un mode d’organisation mixte des couchages. Il sera en revanche dans l’obligation d’adapter ces lieux de couchages pour permettre à un mineur qui en fait la demande de dormir dans un lieu non mixte.

A noter : à l’instar du Collectif Camps Colos, nous recommandons que la mixité des couchages repose sur le consentement et l’intérêt des mineurs.

S’il fallait encore douter du sens à donner à cette règle ô combien ambivalente, voilà la rédaction que l’on aurait pu attendre d’une disposition qui interdirait purement et simplement de la mixité des couchages en ACM :

« Les accueils avec hébergement [en ACM] doivent être organisés de sorte que les filles et les garçons âgés de plus de six ans dorment dans des lieux séparés. (…). »

La réglementation actuelle ne constitue ainsi aucun obstacle, au contraire : elle favorise l’inclusion de tous les enfants au sein des ACM et de leurs différents temps de vie.

Cette disposition troublante et peu en phase avec l’évolution de la société a-t-elle toujours une raison d’être ?

Comme le souligne à très juste titre le Collectif Camps Colos dans sa lettre aux DRAJES, cette disposition du CASF mérite d’être précisée, voire réécrite, afin de ne pas induire les organisateurs et les services de l’Etat en erreur.

Mais la réécriture de cette disposition conduit à se questionner sur sa pertinence en 2023 et sur les raisons profondes qui ont conduit à son adoption : quelles sont-elles et sont-elles toujours d’actualité ? L’accueil et l’écoute des préférences d’un mineur pour un couchage non mixte méritent-ils d’être sanctuarisés par une disposition-obligation du CASF à charge de l’organisateur ? Ne s’agit-il pas là d’un principe élémentaire indissociable de la notion « d’accueil » ?

Si les réponses à ces questions sont incertaines et méritent d’être élaborées en concertation avec les organisateurs eux-mêmes, il est en revanche évident que la référence binaire à l’identité doit être reconsidérée.

En l’état actuel, la réglementation ne distingue qu’entre les « filles » et les « garçons », sans autre précision. Cette distinction textuelle sommaire, qui pourrait laisser entrevoir une liberté d’interprétation en faveur de l’identité de genre, continue en réalité de promouvoir la vision binaire « traditionnelle » qui était encore la norme incontestée en 2006 lors de l’entrée en vigueur du texte et qui faisait de l’identité sexuelle le critère de référence.

Ce carcan rédactionnel de l’article R. 227-3 pose en pratique de nombreuses et indémêlables difficultés aux organisateurs qui accueillent des mineurs trans, et ignore l’identité même des mineurs non binaires.

Jeunesse au Plein air milite pour une actualisation du texte en faveur d’un principe souple de mixité des couchages – mixité parmi d’autres en ACM -, sans référence binaire à l’identité. Une telle évolution permettrait de faciliter l’inclusion sans être inutilement stigmatisante et présenterait l’avantage de rompre avec l’hétéronormativité.

Morgan Bertholom
m.bertholom@jpa.asso.fr