Adoption définitive de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants

Article actualisé le 12 février 2024

Comme les adultes, les enfants ont un droit à l’image qui fait partie intégrante du droit au respect de leur vie privée (article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, article 16 de la Convention internationale des droits de l’enfant et article 9 du Code civil notamment) et dont les manquements sont réprimés notamment par des sanctions pénales (articles 226-1 et suivants du Code pénal).

Lorsqu’ils sont titulaires de l’autorité parentale (article 371-1 du Code civil), les parents d’un enfant sont garants du respect de ce droit à l’image et déterminent, ensemble et dans l’intérêt du mineur (le cas échéant avec son consentement), des cas et modalités de captation, d’enregistrement et de diffusion de son image (prise de photos ou de vidéos par des tiers, publication sur les réseaux sociaux, sur un site internet, etc.).

Déposée par des députés à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 janvier 2023, une proposition de loi a vise à améliorer le dispositif en place. Précisément, ce texte vise à :

  • moderniser l’exercice de l’autorité parentale et à mettre celle-ci à jour des nouveaux défis auxquels sont confrontés les parents ;
  • garantir le droit à l’image des enfants, en lui donnant toute sa place dans l’exercice de l’autorité parentale ;
  • sensibiliser et responsabiliser les mineurs.

Procédure législative : cette proposition de loi fait l’objet d’une procédure accélérée, engagée par le Gouvernement le 4 mars 2023. Le texte, déjà adopté par les députés le 6 mars 2023, a été modifié par les sénateurs le 10 mai 2023.

Après réunion de la commission mixte paritaire, sans qu’aucun consensus n’ait pu être trouvé, le texte a fait l’objet d’une nouvelle et dernière lecture devant l’Assemblée nationale, à la suite de quoi, la proposition de loi a été adoptée, avec modification et à l’unanimité le 6 février 2024.

A noter : cette proposition de loi est accompagnée de deux autres propositions de loi, l’une concernant la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans et l’autre concernant l’instauration d’une majorité numérique et la lutte contre la haine en ligne, déposées mi-janvier 2023.

Un texte basé sur le constat d’un dispositif actuel insuffisant au regard des enjeux croissants

Le respect du droit à l’image des mineurs soulève des questionnements juridiques complexes, puisque ce sont les parents qui exercent le droit à l’image pour le compte de leur enfant en exprimant son consentement. Ainsi, si le droit, en l’état, protège bien le mineur contre les atteintes à sa vie privée venant de l’extérieur de sa famille, il n’encadre pas clairement l’intervention des parents dans la vie privée de l’enfant et l’usage que ces derniers peuvent faire de son image.

Dans son rapport liminaire, la commission des lois de l’Assemblée nationale fait valoir que le droit à l’image des enfants n’a jamais présenté des enjeux juridiques aussi prégnants qu’aujourd’hui, notamment au regard du nombre moyen d’apparition des mineurs sur des photos publiées en ligne, directement corrélé au « sharenting » (contraction de « parenting » et « sharing »)  :

« L’avènement des réseaux sociaux a bouleversé son exercice : plus d’un internaute sur deux prend une photographie dans le but de la partager en ligne. Au total, ce sont plus de 300 millions de photographies qui sont diffusées chaque jour sur les réseaux sociaux. Les enfants sont particulièrement exposés, a fortiori depuis que les jeunes parents appartiennent à une génération qui a connu ce phénomène dès l’adolescence. Si bien qu’en moyenne, un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de treize ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches.

Le droit à l’image de l’enfant occupe une place singulière dans le droit civil français, car ce sont les parents qui expriment le consentement de l’enfant à ce que son image soit publiée ou diffusée. Les titulaires de l’autorité parentale ont donc la responsabilité de protéger leur enfant, en contrôlant l’usage que le mineur fait de sa propre image, mais aussi en respectant sa vie privée à travers leur propre comportement.

À l’intersection entre la liberté d’expression des parents et l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à l’image émerge comme le terrain d’un potentiel conflit, aggravé par le fonctionnement des réseaux sociaux, qui rémunèrent la viralité et promeut les comportements narcissiques. Même si, dans la grande majorité des cas, les intentions des parents sont bonnes, il est indispensable que ces derniers soient mieux informés et sensibilisés quant à cette dimension nouvelle de l’exercice de l’autorité parentale.

Les conséquences du partage irréfléchi de photographies sur internet sont durables et nous ne les mesurons peut-être pas encore pleinement dans l’avenir. Il est possible que des images ne semblant pas gênantes aujourd’hui puissent paraître inacceptables demain et porter gravement atteinte à la réputation des enfants devenus majeurs. »

Un texte qui parachève un renforcement du respect du droit à l’image des mineurs initié en 2016

L’intérêt affirmé du Parlement pour le droit à l’image des mineurs et l’effectivité de son exercice ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 2016, le législateur est intervenu à de nombreuses reprises pour favoriser la protection des mineurs sur internet :

  • en 2016, il a amélioré l’exercice du droit à l’oubli des mineurs (loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique) ;
  • en 2020, il a élaboré une protection juridique spécifique pour les « enfants influenceurs » et il a permis aux mineurs de demander, sans l’accord de leur parent, l’effacement des images les concernant (loi n°2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne) ;
  • en 2022, il a également renforcé le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet (loi n°2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet), avec la création d’une nouvelle plateforme de prévention « www.jeprotegemonenfant.gouv.fr ».

Un texte succinct porté par une poignée d’articles

Les cinq articles de la proposition de loi énoncent des principes, mais mettent également en place des règles, des limites et des outils juridiques contraignants pour élargir les moyens dont disposent les parents et, au besoin, le juge, pour protéger les mineurs :

● L’article 1er vise à introduire la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale prévue à l’article 371-1 du code civil, afin de souligner l’importance que les parents doivent accorder à cet enjeu, au même titre qu’ils doivent veiller à la sécurité, à la santé ou à la moralité de leur enfant.

L’article 2 rétablit un article 372-1 dans le code civil, pour rappeler que le droit à l’image de l’enfant mineur est exercé en commun par les parents, dans le respect de sa vie privée. Il rappelle également que l’enfant doit être associé aux décisions concernant son image « selon son âge et son degré de maturité », comme l’exige la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.

Cet article vient nuancer le libre arbitre des parents dans l’expression du consentement du mineur, en les encourageant à prendre en compte l’avis de l’enfant concerné et en anticipant les conséquences éventuelles, notamment dans le futur, de l’utilisation qu’ils font de l’image de leur enfant.

L’examen du texte par les sénateurs avait conduit à la suppression de cet article 2, au motif que l’objectif pédagogique de la proposition de loi était déjà atteint par l’article 1er. Toutefois, les députés ont rétabli cet article, qui fait désormais définitivement partie du dispositif.

● L’article 3 complète l’article 373-2-6 du code civil pour prévoir une mesure spécifique d’interdiction de publication à l’encontre d’un parent qui diffuse des photos de son enfant contre l’avis de l’autre parent. Cette mesure pourrait être prononcée par le juge et viendrait compléter des dispositions spécifiques déjà existantes (article 373-2-6 du Code civil, en matière d’interdiction de sortie de territoire).

● L’article 4 complète l’article 377 du code civil, qui fixe les conditions dans lesquelles l’autorité parentale peut faire l’objet d’une délégation totale ou partielle. Actuellement, la délégation forcée a lieu en cas de désintérêt pour l’enfant, de crime d’un parent sur l’autre parent, ou d’incapacité à exercer l’autorité parentale. L’article 4 ajoute qu’elle peut être décidée lorsque la diffusion de l’image de l’enfant porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale.

L’examen du texte par les sénateurs avait conduit à la suppression de cet article 4, pour des raisons d’inopportunité. Toutefois, cet article a finalement été rétabli dans le cadre de la lecture définitive devant l’Assemblée nationale.

L’article 5 a pour objet de permettre à la Commission nationale de l’information et des libertés (CNIL) de saisir les juridictions compétentes pour demander le blocage d’un site internet en cas d’atteinte aux droits des mineurs. Cette mesure permettra à la CNIL d’agir en référé dès lors que les droits de mineurs sont concernés, sans condition de gravité ou d’immédiateté de l’atteinte.

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Céline Chagnollaud
c.chagnollaud@jpa.asso.fr